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Choix fatidiques : dix décisions qui ont changé le monde (1940-1941) / Ian Kershaw 28/07/2018

Posted by Rincevent in Mes lectures.
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Comme si l’air n’était pas assez lourd, je me suis farci un titre qui me semblait relativement peu léger. Choix fatidiques : dix décisions qui ont changé le monde (1940-1941) de Ian Kershaw est sorti en 2009 chez Seuil. Lire aussi cette critique, ce compte-rendu, cet article.
ISBN 9782020803250

Choix fatidiques : dix décisions qui ont changé le monde (1940-1941) / Ian Kershaw

Choix fatidiques : dix décisions qui ont changé le monde (1940-1941) / Ian Kershaw

Voilà une lecture extrêmement intéressante mais aussi très touffue. L’auteur nous présente en détail dix décisions clés de la Seconde Guerre mondiale en 1940 et 1941, qui eurent un impact décisif sur son cours. Pour chaque cas, il y a un rappel du contexte historique et politique menant à la décision (la genèse décisionnelle, pourrait-on dire) ; du mode de fonctionnement de la prise de décision dans le pays concerné ; des possibilités qui s’offraient alors aux dirigeants et pourquoi ils n’en retinrent que celles qu’on leur connait ; l’impact que les décisions eurent à court et long terme et enfin une petite réflexion sur « ce qui aurait pu arriver si… » en se limitant soigneusement aux possibilités réelles qui se présentaient alors.
1) Le Royaume-Uni décide de continuer la guerre en 1940
On découvre un cabinet de guerre restreint, où Churchill n’est au départ pas en position de force et qui hésite entre poursuivre la guerre ou solliciter des conditions de paix via l’Italie. Le mépris que Mussolini réserva à cette démarche transitant par Washington refroidit définitivement des Britanniques déjà persuadés que l’Italie exigerait une part conséquente de leur empire colonial pour prix de son éventuelle intervention. Ce qui était inacceptable pour Churchill et ne ferait qu’affaiblir encore plus le Royaume-Uni, alors qu’il privilégiait la résistance acharnée dans l’espoir que les États-Unis finissent leur venir en aide.

2) L’Allemagne décide d’attaquer l’URSS
Là il ne s’agit pas d’un choix de guerre mais bel et bien d’un objectif de fond pour Hitler. Seul à décider, ne s’entretenant qu’avec quelques uns en dehors de tout groupe susceptible de remettre ses choix en cause (le conseil des ministres ne se réunissant même plus depuis quelques années), Hitler lorgne sur l’URSS qui représente un espace vital nécessaire au Reich et se double en plus d’être un pays communiste. La guerre à l’Ouest n’était qu’un prélude visant à préparer l’Occident et à lui faire accepter cette invasion ou, s’il résiste, à le dissuader de venir en aide aux Soviétiques.

3) Le Japon décide de réorienter sa politique vers le Sud
S’estimant victimes des traités de paix de la Première Guerre mondiale qui les empêchent de s’étendre et de s’accaparer des ressources naturelles de ses voisins (seule manière « normale » de prospérer pour un petit pays), les Japonais voient la SDN comme un outil anglo-saxon visant à leur imposer leur volonté sous le déguisement de beaux discours humanistes. Le Japon fonctionne différemment des autres pays de l’Axe, en ce qu’il ne s’agit pas du gouvernement d’un seul mais d’un ensemble de factions (armée, marine, gouvernement civil, maison impériale) pour qui la conquête de la Chine et de l’Asie ne pose pas de question mais qui s’opposent parfois sur les moyens d’y parvenir. Leur politique est d’autant plus difficile à saisir pour les étrangers que les militaires ne sont pas soumis au gouvernement et n’obéissent (en théorie) qu’à l’empereur. En 1940 le Japon, enlisé en Chine, hésite donc entre tenter d’envahir l’URSS (une campagne désastreuse ayant déjà eu lieu en 1939) en s’alliant à l’Allemagne et réorienter sa politique vers le Pacifique et l’Asie du Sud-Est riche en ressources. C’est cette dernière option qui prévaut, stimulée par la campagne éclair menée par l’Allemagne en France et la possibilité de pouvoir avancer sans craindre celle-ci et un Royaume-Uni aux abois. Quant aux États-Unis, la prudence est encore de mise.

4) L’Italie décide d’envahir la Grèce
C’est bien le seul chapitre où on aurait presque envie de rire tant c’est grand-guignolesque du début à la fin. Le Dictateur de Chaplin avait pour but de moquer un sinistre personnage, là Mussolini se révèle encore plus bouffonesque que la parodie. Comme Hitler, Mussoloni décide de tout, tout seul. Mais lui n’est pas réellement à la tête de l’État. Ni même du pays : les militaires obéissent avant-tout au roi (et lui et Mussolini ne s’apprécient pas), ni les barons de l’industrie ni l’Église ne sont complètement à sa botte et Mussolini a suscité de fortes jalousie chez les fascistes en écartant délibérément les fondateurs et rivaux potentiels. Ajoutons à cela que l’armée est totalement impréparée, qu’on la mobilise, démobilise, remobilise sans arrêt (au moment de décider d’envahir la Grèce, beaucoup de soldats sont à la maison pour les récoltes…) et qu’en plus on sous-estime totalement l’adversaire. Mais le Duce n’entend que ce qu’il veut bien entendre. Et on ne lui dit que ce qu’il a envie d’entendre, c’est mieux pour les carrières (son gendre et ministre des affaires étrangères lorgne sur la Grèce qui pourrait venir compléter son domaine d’Albanie). Au final et afin de se venger de ce qu’Hitler a envahi Norvège et Danemark sans l’avertir, Mussolini prend malgré tout la décision d’entrer dans la guerre de la même manière, multipliant les rodomontades devant Hitler… pour mieux se vautrer complètement : au lieu de bousculer des Britanniques fragilisés en Égypte et d’y couper l’accès au vital canal de Suez, les Grecs contiennent et repoussent les Italiens, les Français ne leur cèdent que des miettes de terrain malgré la débâche qui les a accablés. Il lui en cuira mais l’auteur rappelle à raison que s’il a pris les décisions seul, personne ne lui a rien dit parce que tous partageaient ses espoirs d’essor colonial.

5) Les États-Unis décident de soutenir le Royaume-Uni
Là nous découvrons comment Roosevelt, sorti du New Deal, gère l’opinion publique américaine, fortement isolationniste, en homme politique chevronné. Conscient du danger que représente Hitler et observant avec une méfiance de plus en plus grande les actions japonaises, Roosevelt dirige son pays entouré de conseillers compétents mais souvent exaspérés par ce qu’ils considèrent comme d’inutiles hésitations et changements d’avis. En réalité, Roosevelt garde perpétuellement un œil tant sur l’opinion publique que sur les chambres. Car il sait que rien ne sera possible tant que l’opinion publique ne sera pas suffisamment révulsée par ce qu’il se passe à l’étranger et que même si elle devait basculer, l’opinion publique n’est pas l’opinion des chambres. Hors Roosevelt sait qu’il ne pourra demander une déclaration de guerre que quand les deux seront à leur point d’ébullition. Il entame donc une longue marche pour défaire ou contourner les législations de neutralité : on ne peut aider un pays en guerre ? Laissons-le venir s’approvisionner directement chez nous ! Le Royaume-Uni va être à court de liquidité alors qu’il n’a même pas remboursé ses emprunts de la Première Guerre ? Choisissons un système de prêt-bail où il nous restituera le matériel prêté !

6) L’URSS décide qu’elle ne doit pas se préparer
Un chapitre assez déconcertant par ce qu’on y découvre. Décidant seul comme Hitler et n’entendant que ce que les gens pensent qu’il veut entendre comme Mussolini, Staline est sûr de lui et il pense qu’Hitler n’est pas stupide et ne peut pas attaquer sur deux fronts. Ceux qui lui font remonter des informations allant dans ce sens ne sont que des abrutis colportant de la désinformation allemande (quand bien même ils risquent leur vie en le faisant), d’autant plus que les sources se contredisent. Quant à ce que peuvent dire les Alliés, c’est la même chose puisqu’ils ne cherchent qu’à pousser l’URSS vers un conflit dont ils ne peuvent pas sortir seuls, alors qu’ils ont longtemps rechigné à se rapprocher de l’URSS. Staline ne peut se tromper et il ne veut surtout pas envisager cette possibilité : depuis les terribles purges des années 1930, l’armée rouge dont l’encadrement a été entièrement décapité est totalement désorganisée au point que la petite Finlande a pu l’humilier en 1940. Staline règne sans partage et tous le craignent, mais quand les rapports indiquant l’imminence d’une invasion se multiplient, les responsables tentent malgré tout de préparer le pays. Mal leur en prend, Staline les remet à leur place. C’est que Staline est conscient de la faiblesse de son armée. Si conscient qu’il ne veut donner aucun prétexte à Hitler de l’attaquer le premier. Mobilisation, préparations et remise en état des fortifications sont donc sans cesse repoussées. Malgré sa paranoïa, Staline finit par douter, mais trop tard, comme quand un déserteur allemand communiste franchit la frontière pour avertir l’URSS du danger… la veille de l’invasion.

7) Les États-Unis décident de mener une guerre non déclarée
Le Royaume-Uni refusant de baisser les bras, Hitler donne l’ordre de le harceler et d’interrompre tout trafic maritime vers le pays. L’approvisionnement doit cesser. Mais dans le même temps, il ne veut pas non plus donner aux États-Unis une occasion d’entrer en guerre. Donc la guerre sous-marine se tient à bonne distance des côtes américaines. Malgré tout, Roosevelt est bien contraint de réagir car à quoi sert d’envoyer du matériel aux Britanniques si celui-ci finit inexorablement au fond de l’océan ? La perspective d’entrer en guerre suscite deux réactions contradictoires dans l’opinion publique : on pense majoritairement qu’il faudrait faire la guerre à Hitler, mais on pense tout aussi majoritairement qu’on n’en a pas du tout envie. Roosevelt se doit donc d’attendre, pour diverses raisons : l’industrie de guerre n’est pas encore prête, la loi interdit le déploiement à l’étranger de conscrits par ailleurs mobilisés pour une courte période (mais pas des marines, qu’on stationne en Islande). En fait Roosevelt attend que le pays se renforce et que l’Allemagne fasse un faux-pas. Quelques accidents montés en épingle soulevant l’indignation lui permettent d’étendre considérablement la zone de patrouille des navires américains. Il s’agit désormais de mener une « guerre non déclarée ».

8) Le Japon décide d’attaquer les États-Unis
La conjoncture internationale est de plus tendue et les options du Japon sont de plus en plus réduites. Il apparait de plus en clairement que le Japon, s’il maintient sa politique d’expansion vers le Sud, finira par entrer en conflit avec les États-Unis. Hors les services sont formels, en cas de guerre le Japon n’aurait que deux ans de réserves en pétrole et autres matières premières. En limitant sérieusement les usages civils. Le gouvernement japonais prend donc conscience du risque énorme qu’il encoure à affronter les États-Unis. Suffisamment pour que plusieurs hauts responsables et, fait exceptionnel, l’empereur lui-même commencent à tirer la sonnette d’alarme. On s’étonne d’ailleurs de découvrir que Hirohito, constatant la légèreté inouïe de ses plus hauts gradés, y a perdu sa patience et les a non seulement vertement tancés mais leur a même ordonné de rechercher une solution diplomatique, que ce soit en privé ou lors d’une conférence impériale (où traditionnellement l’empereur ne parle pas). Malheureusement, ni l’empereur ni les quelques partisans de l’approche diplomatique ne pouvaient plus aller contre l’avis de la très grande majorité des militaires, largement soutenus par une population alimentée depuis des années par la propagande nationaliste. L’empereur et ses anciens premiers ministres avaient soutenu l’expansion agressive du Japon sans remord, mais désormais la peur de déclarer une guerre quasi-impossible à gagner finissait par l’emporter chez eux. Il est surprenant de voir à quel point les Japonais ont persisté dans cette voie malgré la conscience aigüe des risques. L’explication en est très simple, ils étaient désormais piégés par leur propre propagande : la population et encore moins la troupe n’auraient jamais accepté l’abandon des territoires conquis au prix de milliers de vies japonaises pour finir en pays de second rang dominé par les États-Unis. Seule une attaque brutale et soudaine le plus tôt possible pouvait, peut-être, offrir au Japon la possibilité de mettre les Alliés devant le fait accompli. On palabra donc longtemps et intensément pour savoir s’il fallait rechercher une solution diplomatique, préférer une attaque immédiate ou encore négocier pour tromper l’ennemi le temps d’être prêt à frapper. Ce fut la dernière solution qui fut décidée. Au su de Washington qui décryptait les communications japonaises depuis longtemps. Restait à savoir où et à s’arranger avec l’Allemagne.

9) L’Allemagne décide de déclarer la guerre aux États-Unis
L’auteur prend le temps de nous expliquer que, bien que les États-Unis étaient pour Hitler un pays infecté par les juifs manipulant tant capitalisme que communisme, ils n’occupaient paradoxalement que peu de place dans sa pensée politique définitivement tournée vers l’Est. Tout au plus envisageait-il à terme, bien après sa mort, que l’Allemagne finissent par devoir entrer en guerre contre un pays devenu un rival dangereux pour la domination du monde. Mais c’en restait là et Hitler retenait à grand peine sa marine dont les sous-mariniers voulaient couler tout ce qu’ils pouvaient atteindre dans l’Atlantique. Il parait alors illogique et imprudent de déclarer la guerre aux États-Unis alors que la campagne de Russie s’enlise progressivement, d’autant plus qu’Hitler sait que Roosevelt n’obtiendra jamais de déclaration de guerre sans provocation sérieuse. Ce qui a poussé Hitler à faire ce choix a priori fatidique pour ses armées, c’est : l’exultation qu’il ressentit à l’annonce de l’attaque sur Pearl Harbor, dont il surestima largement l’efficacité, dans un contexte de plus en plus morose ; la négociation avec le Japon pour revoir les termes de l’axe ; la sempiternelle obsession juive ; l’orgueil de vouloir déclarer la guerre avant qu’on ne la lui déclare. Le Japon désormais en guerre voulait en effet s’assurer qu’Hitler et son partenaire italien ne chercheraient pas de paix séparée si cela tournait mal. Ce que l’Allemagne accepta. Mais si le nouvel accord interdisait toute paix séparée, il n’obligeait en rien l’Allemagne à déclarer la guerre aux États-Unis. Hitler le fit tout de même, parce qu’il savait que les ressources militaires américaines encore incomplètes seraient partagées sur deux fronts, ce qui lui laisserait le temps d’en finir avec l’URSS. Ce qui du reste satisfaisait aussi les Japonais, chacun étant soulagé de voir l’autre prendre sa part du colosse américain.

10) L’Allemagne décide d’exterminer les juifs
Sans surprise, c’est bien la seule décision pour laquelle il n’y avait aucune autre possibilité. Et pour cause, l’élimination des juifs était un fondement idéologique nazi encore plus important que l’invasion de la Russie. Et pourtant, il ne s’agit pas d’une décision comme celles qui précèdent car elle n’a pas été prise à un moment daté et donnant lieu à des consignes écrites. Au contraire, le secret absolu qui entoura le génocide eut des effets pour le moins étranges en ce qui concerne la prise de décision. Tout vint d’Hitler, mais ce dernier ne communiqua ses volontés qu’oralement et souvent par langage codé, laissant ses sous-fifres Himmler et Heydrich organiser les choses. Dès le premier jour de l’invasion de l’URSS les troupes furent suivies de contingents de policiers et de SS qu’on avait chargé d’éliminer les indésirables. Il s’avère que le flou artistique des consignes, pourtant parfaitement comprises, eut pour conséquences des manières de procéder différentes suivant les endroits. Seule l’horreur resta la même. On vit très vite que les pratiques mises en place sur le terrain remontèrent par la voie hiérarchique pour s’enquérir de précisions ou d’approbations, qui redescendirent tout aussi vite et tout aussi oralement. Alors qu’avant l’invasion de l’URSS Hitler avait suivi une politique d’élimination par l’évacuation des populations juives d’Allemagne, d’abord par des départs dus aux persécutions avant qu’on envisage une déportation brutale et meurtrière vers Madagascar puis les anciens territoires soviétiques, il parut rapidement évident que plus l’armée allemande avançait plus le Reich se retrouvait avec des quantités énormes de populations juives à gérer. La progression en URSS se ralentissant, il se posa hélas le problème de savoir où déporter les nouveaux conquis. Dans l’impossibilité tant d’obtenir de nouveaux territoires que de fournir les moyens logistiques nécessaires pour déporter les populations et contraintes de constater que ce qui restait de Pologne était déjà surchargée, les autorités nazies commencèrent donc à étudier une approche industrielle qu’elles étendirent sinistrement aux juifs de toute l’Europe.

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