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Le roi Lang Darma et son règne / Samten Karmay 02/02/2011

Posted by Rincevent in Tibet and her neighbours : a history / Alex McKay.
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L’historiographie traditionnelle tibétaine présente toujours le dernier empereur tibétain, Lang Darma (qui régna de 838 à 842), comme un persécuteur du bouddhisme qui mourut des mains d’un valeureux moine. Cette mort plongea l’empire dans la guerre civile. Désintégré, le pays ne retrouvera jamais l’unité et la puissance qui fut la sienne. Pourtant, l’auteur de cet article très instructif décrypte la réécriture historique à laquelle s’est livrée le clergé bouddhiste au Tibet au sujet de cette mort.

Lang Darma semble être en fait un surnom, le mot Lang signifiant bœuf remplace le titre Tri (trône, c’est-à-dire roi). Pour Sam van Schaik, c’est une allusion soit au signe astrologique de son année de naissance, soit à sa forte constitution. Les sources les plus anciennes l’appellent donc Tri Darma ou Au Dünten, précédé des titres impériaux tsenpo (le puissant) et lhase (fils des dieux). Il serait né vers 803 et aurait succédé sur le trône à son frère Relpachen (815-836) en 838. Il eut deux fils posthumes de deux femmes différentes, et comme aucun n’avait été désigné héritier présomptif, les mères revendiquèrent chacune le trône. Le premier fils fut Ösung, né de Tsenmo Phen, et ne régna que sur une partie de l’ancien empire. Son frère Yumten n’est pas mentionné par les sources anciennes, ce qui laisse planer un doute sur son existence. Le règne court de Lang Darma ne lui a pas vraiment laissé le temps d’accomplir de hauts faits dignes d’être loués. Son accession au trône elle-même s’est déroulée dans la violence puisque son prédécesseur aurait été assassiné par des aristocrates de plus en plus irrités par le poids politique croissant qu’il donnait au clergé. S’estimant menacés, certains d’entre eux éliminèrent progressivement les membres de la cour soutenant le clergé bouddhiste avant de s’en prendre directement à l’empereur. Il est possible qu’ils n’aient soutenu l’accession au trône de Lang Darma qu’à la condition qu’il expulse le clergé de la sphère politique.

Quoi qu’il en soit, un document ancien retrouvé à Dunhuang apporte un éclairage sur cette période. Il s’agit d’une prière bouddhiste faite pour le compte d’Au Dünten par les fonctionnaires coloniaux de ce territoire conquis d’Asie centrale. Le souverain y est décrit comme un bouddhiste qui fait bâtir et rénover des lieux de cultes. Au temps pour le persécuteur du bouddhisme… Cette prière apporte de nombreux enseignements : les sujets non tibétains de l’empire le respectaient autant qu’ils partageaient sa foi bouddhiste ; le bouddhisme pratiqué alors n’était pas le même qu’aujourd’hui car les divinités nommées sont indiennes et non pas celles de l’actuel bouddhisme tibétain. La présence de texte chinois révèle que ce sont des moines chinois qui ont fait la prière, probablement à la demande des officier tibétains en poste dans la région qui avaient en outre l’habitude de confesser les violences de guerre. Il est possible que cette prière ait été composée en début de règne, avant que Lang Darma n’adopte une politique anti-bouddhiste. Il est possible que les habitants de Dunhuang n’aient appris la mort du souverain qu’avec beaucoup de retard. Pour l’auteur, c’est improbable puisque d’autres textes confirment que le bouddhisme était toujours florissant après sa mort. On peut donc en déduire que cette prière a été rédigée après l’accession au trône d’Ösung. Si Lang Darma était bouddhiste, alors il n’a pas persécuté le clergé mais seulement tenté de mettre un frein à son ambition. Déjà sous Trisong Detsen (règne de 755 à 797/804), les monastères jouissaient de domaines et de troupeaux exemptés d’impôts et de service militaire.

La légende noire de Lang Darma ne peut donc dater d’avant la deuxième moitié du IXe siècle et a mis du temps à se constituer sous la plume de moines hostiles. Un des textes qui fixera la version définitive de l’empereur ennemi du bouddhisme (sans le nommer) contient des éléments qui permettent de déterminer qu’il a été rédigé après le XIe siècle. Ce n’est d’ailleurs que dans ces sources tardives que le meurtre est mentionné. D’après elles, Lang Darma serait mort alors qu’il examinait une inscription à Lhassa. Un moine nommé Lhalung Pelgyi Dorje déguisé en officier de la cour se serait approché de lui et, feignant de faire une révérence, lui aurait décoché une flèche fatale en sortant un arc caché dans sa manche. Le meurtre est présenté comme un rituel tantrique, mais plusieurs éléments ne collent pas. Certaines pratiques tantriques reconnaissent le droit de tuer un ennemi opposé à sa doctrine. Hors, après sa fuite, le meurtrier a refusé de recevoir les vœux de jeunes moines, arguant qu’il ne pouvait plus être moine du fait de son meurtre. On est loin d’un tantriste fier d’avoir défendu sa religion. Pour l’auteur, un document de Dunhuang suggère qu’il n’était pas un simple moine mais un membre de l’élite religieuse voire l’abbé du monastère de Samye qui avait tout intérêt à se débarrasser d’un souverain susceptible d’entraver son influence politique. Quoi qu’il en soit, l’assassinat de Lang Darma a mis fin aussi bien à l’unité de l’empire qu’à celle du clergé tibétain : avant cela, Samye constituait une autorité religieuse certaine pour tout le Tibet, et la dislocation du pays s’est aussi appliquée aux bouddhistes. Plus jamais le Tibet ne connut d’unité politique et le clergé tibétain se fragmenta en de nombreuses écoles rivales du point de vue religieux, politique et économique.

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