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Histoire du bouddhisme tibétain : la compassion des puissants / Élisabeth Martens 10/02/2008

Posted by Rincevent in Le Tibet, Mes lectures.
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Aujourd’hui, nous allons parler d’Histoire du bouddhisme tibétain : la compassion des puissants d’Élisabeth Martens, paru en 2007 chez l’Harmattan.
ISBN 9782296040335

Histoire du bouddhisme tibétain : la compassion des puissants / Élisabeth Martens

Voilà l’exemple du livre que j’ai acheté en pensant faire une bonne trouvaille. Et ce fut une trouvaille. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’elle fut bonne. Je pensais me retrouver avec un ouvrage dressant l’histoire critique de cette branche du bouddhisme, et le résumé de l’éditeur m’encourageait dans cette voie puisque :

« Cet ouvrage rend au Bouddhisme tibétain son statut de religion qui, comme toute autre religion, a connu une évolution en accord avec son environnement social. Loin de la compassion et de la tolérance qui sont, actuellement, les images de marque du Bouddhisme tibétain, l’enseignement du Bouddha a servi à implanter son autorité morale et spirituelle sur les populations tibétaines et à s’entourer de biens matériels. Le bouddhisme tibétain d’aujourd’hui, aseptisé et modelé à nos demandes, a-t-il encore quelque chose à gagner en séduisant un Occident que l’on prétend en « vide spirituel ». »

La déception fut assez nette. Mme Martens, femme sûrement charmante, est une biologiste belge qui a suivi des études de médecine traditionnelle à Nankin et qui a décidé de se lancer dans la rédaction d’un livre d’histoire religieuse. Elle aurait dû s’en tenir à l’acupuncture. N’en déplaise à certains, l’histoire n’est pas un domaine littéraire mais scientifique et quand elle touche à quelque chose d’aussi délicat que la sensibilité religieuse, et d’un pays au statut aussi controversé que le Tibet, il serait bon de laisser les spécialistes s’en charger.

La démarche n’était pas mauvaise en soi : démonter l’angélisme pontifiant qui saisit les Occidentaux dès qu’ils viennent à parler du Tibet. Mais d’autres historiens l’ont fait et bien mieux. L’ouvrage souffre de nombreux défauts qui ne seraient pas gênants s’ils ne se répétaient pas aussi souvent. En premier lieu, quand on écrit l’histoire du bouddhisme tibétain, ben… on en parle. Non parce que là, nada. Aucune étude des différentes écoles, pas de réflexion sur la place du monachisme, rien sur les modes de transmission de chaque tradition, un vide désespérant quant aux textes étudiés plus spécifiquement dans chaque cas. Mis à part une présentation rapide, il n’y a qu’un passage démontant le Kalachakra (intéressant d’ailleurs, même s’il me faudrait me documenter plus pour me faire une idée précise), sinon c’est le vide quasi-intégral. C’est bien simple, l’ouvrage ne traite pour l’essentiel que de l’histoire politique du pays puis s’attaque aux relations Occident-Tibet et à la part (réelle) de fantasme et d’aveuglement volontaire.

Le fait de se reposer beaucoup sur de la documentation chinoise est également risqué quand ça concerne le Tibet. Non pas que les auteurs chinois soient incapables de sérieux et de critiques constructives, mais le statut et l’histoire du Tibet garde un caractère ultrasensible pour le gouvernement. Utiliser des sources soumises à la censure d’État est donc pour le moins sujet à caution.

Ensuite, on sent à plusieurs reprise chez l’auteur un parti-pris assez désagréable. Elle a parfaitement le droit de considérer la culture chinoise comme plus raffinée (on est dans l’ordre du subjectif), mais elle adopte un masque d’objectivité que son discours contredit. Ainsi, les noms tibétains sont quasi-systématiquement présentés sous leurs formes sinisées. C’est pas très grave, me direz-vous, mais on traite ici de l’histoire du bouddhisme tibétain, et non des religions chinoises. Ensuite il y a cette tendance à décrire les Tibétains comme d’indécrottables barbares à l’esprit simplet. Les empereurs (oui on parle d’empereurs (tsenpo), pas de rois (gyelpo) !) sont ainsi décrits comme des brutes particulièrement sanguinaires et destructrices. Ce qu’ils étaient, tout comme la totalité des souverains de l’époque, inutile de noircir le tableau quand ils ne faisaient que se comporter comme tous les dirigeants du monde. De même, on apprend que si les Tibétains n’ont pas adopté le bouddhisme de la Terre Pure (Jing Tu), c’est parce que cette école « ne proposait rien de particulier qui eût pu attirer l’attention des populations tibétaines – une vie sobre faite de foi, de prières, d’offrandes et un Nirvana assuré dans la Terre Pure d’Amithaba -, rien qui puisse convertir les Tibétains baignés, de longue date, dans les pratiques exorcistes propres au Bön et qui subissaient les cruels sévices de la part de la nouvelle noblesse. » C’est sûr que les Chinois étaient bien plus enviables et intellectuellement plus avancés…

S’ensuivent plusieurs énormités. On apprend par exemple que le Potala (palais des Dalaï Lamas à Lhassa) ressemble à des légos, et que la lignée des Panchen Lama a été fondée par le Mongol Gushri Khan en remerciement d’un soutien militaire. En fait c’est le 5e Dalaï-lama qui donnera ce titre à son maître pour l’honorer et la nouvelle lignée possèdera le plus grand fief du pays, la province du Tsang, les Dalaï-lamas restant souverains du pays entier. On découvre que la dynastie Qing nouvellement au pouvoir en Chine invita le Dalaï-lama afin de renforcer son contrôle sur le pays. Dans les fait, les Qing avaient besoin de se concilier le chef religieux afin de contenir l’agressivité des Mongols (dont il était le guide religieux) afin de pouvoir en finir tranquillement avec la dynastie Ming moribonde qui s’était réfugiée au sud. Etc…

Ces défauts nuisent considérablement, et même discréditent complètement l’ouvrage. C’est extrêmement dommage car j’aurais beaucoup aimé lire une vraie analyse critique du bouddhisme tibétain. L’auteur dit des choses vraies et sait formuler des critiques valables, mais elles sont malheureusement noyées dans les approximations et le manque de recul. Une grosse déception.

Commentaires»

1. Trottinette - 14/02/2008

voilà ce qui arrive quand des personnes se prennent à écrire des études historiques sans appliquer la critique historique indispensable! Etre historien c’est un métier et ce n’est pas pour rien que c’est une discipline universitaire…

2. Rincevent - 14/02/2008

Merci, ça fait du bien de lire ce genre de choses. Parce que des pseudo-bouquins d’histoire écrits par des journalistes (dans le meilleur des cas), il y en a une palanquée… Il y en a d’ailleurs beaucoup sur le Tibet, qu’il s’agisse de tibeto-gnangnan ou de pro-chinois enragés.
De la mesure, encore de la mesure, et toujours de la mesure !

3. jean-paul desimpelaere - 12/03/2008

Traduire “tsenpo” par “empereur” et “gyalpo” par “roi » est de toute façon coller des notions occidentales sur des termes tibétains. Rolf A. Stein dans « La Civilisation Tibétaine » (Collège de France) ne fait pas grande distinction entre les deux. (livre à recommander !). « Btsan » ou « tsen » si on veut, signifie « fort ». « Tsenpo », c’est l’homme fort du Tibet, titre utilisé par les dirigeants du Tibet jusqu’au 9e siècle, abondonné par après. « Rgyalpo » signifie « roi » ou « divinité mineure ». Le 5e dalaï-lama visait particulièrement ces dieux de basse classe. L’actuel dalaï-lama reprend cette lutte sur son site internet : « Gyalpo refers to a class of evil spirit. Since Shugden belong to this group, he is also called Gyalchen, the great Gyalpo.” ( le « chen » est une transcription du « tsen »). Nous connaissons l’interdit qu’a décrété l’actuel dalaï-lama à propos de la vénération de la déité de Shugden, chérie par la lignée des « New-Kadampa », une dissidence vis-à-vis de l’hégémonie du 14e dalaï-lama, au sein du mouvement pro-tibétain à l’extérieur du Tibet.
Ceci dit, le terme « gyalpo » ou « gyaltsen » est devenu un nom ou un prénom courant parmi les tibétains, comme « César » chez nous, dans le temps. Le représentant du 14e dalaï-lama aux Etats-Unis s’appelle Gyari Lodi Gyaltsen. Et dans son administration en exil, il y en a plusieurs, des gyalpo ou des gyaltsen. Ce qui est vrai, c’est que du 7e au 9e siècle, les Tibétains avaient un « grand chef » et un grand territoire: cinq fois la France. Tandis que les dalaï-lamas, plus tard, n’ont régné politiquement que sur un territoire de 2 fois la France. (voir e.a. Françoise Aubin dans « Les Cahiers du CERI », 6/93.)

4. Rincevent - 12/03/2008

Tout à fait. je n’ai moi-même utilisé les termes occidentaux que dans un souci de vulgarisation. Ceci dit, Laurent Deshayes, dans son Histoire du Tibet, nous explique que d’après les annales de la dynastie Tang, le tsenpo était considéré comme étant de même rang que le Tianzi chinois. Ce dernier terme étant traduit par Fils du ciel et désignant l’empereur de Chine, c’est pour ça que j’ai choisi de le traduire comme empereur. Il me semble avoir lu la même chose chez Andreas Gruschke. Des extraits de ses ouvrages son consultables sur son site, et il en parle dans une note de bas-de-page.

PS : dommage que je ne comprenne pas le flamand, je suis sûr que j’aurais pu lire tout pleins de trucs intéressants chez vous. ^^


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