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Fleur de lis et oriflamme : signes célestes du royaume de France / Anne Lombard-Jourdan 14/03/2017

Posted by Rincevent in Mes lectures.
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Faisant quelques recherches sur les drapeaux et emblèmes médiévaux, je suis tombé sur ce titre, ouvrage de 1991 réédité en 2015. Fleur de lis et oriflamme : signes célestes du royaume de France d’Anne Lombard-Jourdan est paru aux presses du CNRS dans la collections Biblis. C’était touffu et bourré d’explications linguistiques fort subtiles, mais très intéressantes. Voir la critique de Jean-Pierre Willesme sur Persée, ainsi que le livre de Michel Pastoureau qui explique le choix des armoiries royales au XIIe siècle.
ISBN 9782271085962

Fleur de lis et oriflamme : signes célestes du royaume de France / Anne Lombard-Jourdan

Fleur de lis et oriflamme : signes célestes du royaume de France / Anne Lombard-Jourdan

L’auteure tente d’une part de nous expliquer l’origine des armoiries des Capétiens, connues pour leurs fleurs de lys sur champ bleu, ou plutôt : d’azur, semé de fleur-de-lys d’or (de Louis VII à Charles V) ; puis d’azur à trois fleur-de-lys d’or (à partir de Charles VI hors Louis-Philippe qui adopta des armoiries constitutionnelles). D’autre part, elle nous présente l’origine de l’oriflamme, étendard des rois de France conservé à Saint-Denis.

De France ancien, tel qu'utilisé par Louis VII © Arnaud Bunel De France moderne, tel qu'utilisé par Charles VI © Arnaud Bunel

Les deux versions des armoiries royales des Capétiens : de France ancien et de France moderne © Arnaud Bunel

Si les premières armoiries apparaissent dans la première moitié du XIIe siècle, l’auteure pense que celles utilisées par les Capétiens sont en fait la descendance de très anciens symboles qu’on a progressivement amalgamé avec d’autres issus d’horizons culturels différents. Leurs origines se trouveraient dans l’empire romain et en Gaule, notamment dans le sanctuaire du Lendit : à Rome c’est d’abord un signe divin signalant ceux prédestinés à gouverner, un jet de flammes (apex) retombant sur chaque tempe (cristae) sans brûler son porteur ; puis les termes sont utilisés pour désigner les casques à panache des officiers. On retrouve ce symbole ressemblant à la lettre oméga inversée (ou un M oncial) chez le dieu gaulois Sucellus, que Jules César assimila peut-être de mauvaise foi au Dis Pater romain. Le soleil, par la personne d’Apollon que les Gaulois appelaient Virotutis, semble avoir joué un grand rôle : il fallait garder les cheveux longs, comme lui dont on ne pouvait distinguer les rayons. Ce symbole est utilisé sous les règnes des empereurs Constantin, qui l’a ramené des Gaules après une victoire, et Valentinien Ier en tant que symbole de protection divine apportant la victoire. Lors de la conversion de Clovis, on le félicite d’avoir renoncé à être un fils du soleil pour devenir chrétien, ce qui sous-entend que comme nombre de populations les Francs pensaient avoir un ancêtre divinisé lié au soleil. Contrairement aux Gaulois, seuls les rois mérovingiens pouvaient garder leurs cheveux longs (et coiffés ramenés sur le devant, d’une manière évoquant la crista). Les couper leur interdisait toute revendication politique, ce qui leur valut le surnom de cristati chez les Byzantins. Avec la christianisation, la crista se confond souvent avec la croix chrétienne et le chrisme qui se développe parallèlement à Byzance. On retrouve la crista avec son sens de protection divine et de victoire, aux époques mérovingiennes et carolingiennes, sculptée dans nombre d’églises ou dans une pièce d’orfèvrerie ramenée à Saint-Denis par Pépin le Bref où un objet similaire se trouvait encore apparemment au XIIe siècle. La crista apparait abondamment sur les monnaies mérovingiennes, accompagnant la croix chrétienne avec laquelle elle peut être parfois fusionnée, parfois détachée, marquant peut-être une évolution d’un modèle à l’autre. Les Carolingiens représentent les aigrettes de la crista tantôt au-dessus de la croix, tantôt en-dessous pour faire oublier son passé païen.

Elle poursuit sa carrière sur les sceptres des premiers Capétiens, représentés sur divers sceaux, où la crista se transforme peu à peu en fleur-de-lys. Le temps est venu de faire disparaître ses origines : sans doute encore un peu trop païen au grand dam de Suger, créateur des fleurs-de-lys royales au XIIe siècle. Il cède toutefois devant l’éclat de la pièce d’orfèvrerie mise en place d’honneur à Saint-Denis… mais préfère la remplacer progressivement. C’est peut-être dès 1137, et dès 1179 avec certitude que les rois de France s’habillent de pied en cap de fleur-de-lys, qui se répandent désormais au mobilier, aux objets et aux bâtiments. Sans surprise, la bannière royale (les miniatures représentent parfois un gonfanon) reproduisit le dessin des armoiries au moins à partir de 1185. Au XVe siècle, un poème évoque deux légendes concurrentes relatives à leur origine, fortement liées aux abbayes de Saint-Denis et Joyenval. Il relate comment, lors de la bataille de Tolbiac, Clovis dut affronter un adversaire lors d’une assemblée mais se résigna à abandonner l’emblème de son bouclier pour des fleur-de-lys qui lui furent remises par le ciel. Le symbole remplacé, la crista, y est décrit comme étant trois croissants. Non pas des croissants de lune, mais des symboles représentant le soleil croissant (levant). C’est toujours la crista qui n’avait pas totalement disparu des mémoires et était encore un symbole solaire et de régénération lié aux solstices. Pour le décrédibiliser, au XIIIe siècle on commença à décrire l’ancien symbole de Clovis comme étant un crapaud et non plus une croix par un jeu de mot alambiqué : bufurdi (feux allumés lors des équinoxes, liés au soleil et au sens sans doute proche de croissant) devenant bufo horridus (horrible crapaud). Pourtant le croissant antique ne disparut pas complètement, et survécut dans la croyance en une tâche de naissance qu’étaient censés porter les rois : le croît royal, vite transformé en croix royale. Au XIVe siècle, une dernière résurgence de l’ancienne crista se manifesta lorsque les soldats du roi de France adoptèrent une croix blanche pour se démarquer de leurs ennemis anglais à la croix rouge, associée à la fleur-de-lys soit par le nom, soit en en ajoutant une par dessus (en son centre ou au sommet). Pour l’auteure, d’autres signes solaires ont pu survivre de la même manière : le coq gaulois, la couleur initialement hyacinthe (violet) des robes de sacre des rois de France qui rappelait le ciel rosissant à l’aurore avant de céder la place à l’azur des armoiries royales.

Statuette du dieu Sucellus © Musée d'art et d'histoire de Genève via artefacts.mom.fr Charles le Chauve représenté sur une peinture de son psautier © BNF Monnaie mérovingienne © Gallica

Trois exemples de cristae : Statuette du dieu Sucellus © Musée d'art et d'histoire de Genève via artefacts.mom.fr, Charles le Chauve représenté sur une peinture de son psautier © BNF, Monnaie mérovingienne © Gallica

Pour l’auteure, l’origine de l’oriflamme est la même que celle de la fleur-de-lys : l’ancien sanctuaire gaulois de la plaine du Lendit. Ce dernier conservait une lance, attribut divin dans nombre de religions, dont une copie fut prêtée à l’empereur Constantin au IVe siècle. Appelé labarum (un mot peut-être gaulois qui pourrait être lié au bruit de la foudre) et constitué d’une arme double enchâssée dans un grand fer de lance, ce symbole accompagna la victoire de l’empereur dont les troupes étaient majoritairement gauloises. Cette arme double, que les Romains appelaient clava ou rumphaea, était censée avoir le pouvoir d’émettre des flammes ou voler de sa propre volonté et devait initialement être une arme de jet à fort pouvoir pénétrant qui évoquait fortement la foudre. Pour l’auteure, l’utilisation qu’en fit Constantin valut au labarum originel de porter un temps le nom de Romaine, avant d’être rebaptisé Montjoie par les Francs. En France, une copie de la chanson de Roland datant du XIe siècle évoque déjà l’oriflamme, nouveau nom du labarum que l’auteur suggère provenir de aura flans, soit souffle de vent / léger courant d’air, considéré comme l’expression de la parole divine (au même titre que l’olifant, qui partage peut-être la même étymologie). Il est alors considéré comme étant la lance n’appartenant qu’à Charlemagne. L’oriflamme est alors fermement planté en terre pour indiquer le point de rassemblement de l’armée, comme le labarum utilisé plus tard par des Normands face au monastère de Saint-Bertin au IXe siècle. Le labarum aurait survécu au IXe siècle sous le nom de lance de Saint-Pierre (du nom de l’église ayant remplacé le temple gaulois du Lendit), signe de pouvoir utilisé par Charles II le Chauve et qu’il transmit à son fils Louis II le Bègue en 877 (cet usage ne perdura pas, l’oriflamme ne jouant aucun rôle lors du sacre des rois de France, et l’épée Joyeuse remplissant cette fonction). Cet objet est alors décrit par le terme spata, qui peut désigner aussi bien une épée qu’une lance. Un poème sur le siège de Paris par les Danois de 885 évoque deux lances auxquelles est attaché un drapeau safran découpé de plusieurs fanons.

À une période non déterminée, la lance et la clava enchâssée sont séparés. Suivant l’exemple impérial, à partir du Xe siècle on considère désormais la clava comme étant un clou de la Passion (à cause de la ressemblance entre clava et clavus), et on sait que l’abbaye de Saint-Denis lui voue déjà un culte à la toute fin du XIe siècle. En 1124 l’abbé Suger, grand ministre de Louis VI et Louis VII évoque pour la première fois sans le nommer l’oriflamme définitif que son roi sort de Saint-Denis pour repousser l’empereur Henri V. Ce drapeau de guerre était conservé à l’abbaye, d’où il ne sortait que lorsque ses avoués* comtes de Vexin devaient intervenir militairement. Le Vexin ayant fini par rejoindre le domaine royal, ce sont les rois de France qui récupérèrent les prérogatives des anciens comtes ainsi que l’usage de l’oriflamme. Physiquement, les sources décrivent un drapeau fait de soie (cendal ou samit), rouge uni et bordé de houppes ou franges blanches ou vertes mais découpé de deux, trois ou cinq fanons. Cette forme en fait donc un gonfanon, qui peut-être déployé horizontalement ou verticalement. Le drapeau prend dès lors peu à peu le pas sur la lance qui sombre dans l’oubli. La victoire de Louis VI est l’occasion pour Suger d’officialiser le fait que l’oriflamme de Charlemagne s’est scindée en un gonfanon et un Saint-Clou, et ainsi contrer les prétentions des impériaux brandissant leur lance de Constantin (voir plus bas). De son côté, la clava rebaptisée Saint-Clou, fortement corrodée, est perdue et retrouvée en 1233, ce qui suscite une vive émotion. Sa description détaillée correspond exactement aux clous enchâssés dans les lances étrangères, et l’objet est d’ailleurs appelé par deux fois fer de lance. Au XIIIe siècle, le drapeau le plus ancien est conservé par des moines, tandis que des copies se trouvent régulièrement sur les champs de bataille, servant même d’armes de mêlée, notamment à la bataille de Bouvines où l’une d’elle fait face à l’empereur germanique et sa lance de Constantin qui lui fait concurrence. Au XIVe siècle encore, on évoque la lance de Charlemagne dont la pointe est censée émettre un jet de flamme et l’oriflamme redevient temporairement un objet sacré susceptible d’accomplir des miracles. Mais tant l’oriflamme que le Saint-Clou finissent par être relégués dans le trésor de Saint-Denis, enfermés dans divers reliquaires somptueux qui les dissimulaient à la vue du public. Le Saint-Clou survécut à la Révolution mais en 1865 on constata sa disparition. Il ne subsistait plus qu’un clou polonais conservé à Notre-Dame.

Dans les autres pays, jusqu’au IXe siècle la copie de Constantin (fabriquée entre le VIIe et le IX siècle, succédant peut-être à un autre exemplaire) fut conservée en Italie où elle servit à l’investiture des rois des Lombards, avant de passer brièvement au royaume de Bourgogne puis au Saint Empire romain germanique. Lors des guerres napoléoniennes, cette copie fut récupérée par l’empire autrichien et y resta depuis (hors un vol temporaire par les nazis) jusqu’à la république d’Autriche, qui la conserve toujours. Avec le temps, d’autres copies apparurent en Pologne et en Hongrie à partir de fragments de la lance impériale. À la place de la clava des Gaulois, la lance de Constantin enchâsse deux clous identifiés à ceux de la Passion du Christ dont l’inclusion cassa le fer au Xe siècle et qui dut alors être consolidé par plusieurs étuis. Toutes ces lances ont pour point commun d’être des armes divines, presque païennes, aux pouvoirs surnaturels (paralyser d’effroi l’ennemi, jets de flammes ou éclairs, s’abreuver de sang) et sont synonymes de combat sans quartier.

Sainte-Lance conservée à Vienne - Wikicommons Miniature représentant la bénédiction de l'oriflamme © Gallica Dessin d'un vitrail de Notre-Dame de Chartres © Gallica

Sainte-Lance conservée à Vienne - Wikicommons, Miniature représentant la bénédiction de l'oriflamme © Gallica, Dessin d'un vitrail de Notre-Dame de Chartres © Gallica

Sur le même sujet on peut aussi lire Les armes symboles d’un pouvoir politique : l’épée du sacre, la Sainte Lance, l’Oriflamme, aux VIIIe-XIIe siècles d’Olivier Bouzy et L’oriflamme de Saint-Denis aux XIVe et XVe siècles. Étude de symbolique religieuse et royale de Philippe Contamine.

* Un avoué était un noble prenant en charge la défense militaire et juridique d’un établissement religieux, que ce soit pour la guerre (les religieux n’ayant pas le droit de se battre), la levée des impôts, etc.

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